Courtiers, le canal de distribution le moins cher
À la fin du siècle dernier, les courtiers en assurances semblaient menaces d’extinction face à la concurrence des banques et des assureurs directs ou en ligne. Or, que constatons-nous un quart de siècle plus tard? Que les courtiers sont les acteurs les plus solides du flux multicanaux. Patrick Cauwert, CEO de Feprabel, nous explique le comment et le pourquoi de cette évolution.
Une nouvelle confiance est née dans le canal des courtiers, mais cela ne s’est pas fait tout seul.C’est le fruit d’un intense travail avec la collaboration au sein de Portima et Brocom, la normalisation et les outils mis à la disposition des courtiers par les fédérations, notamment pour se mettre en ordre avec le RGPD et la loi anti-blanchiment. Seul, le courtier n’aurait pas pu et ne pourrait toujours pas survivre.
Non seulement les courtiers ont survécu, mais ils ont aussi évolué bien plus qu'on ne le penseavec, par exemple, l’augmentation des flux sans papier, la signature électronique ou encore BRIO Analytics. Notre choix pour un seul système de gestion (BRIO) nuisant prétendument à la liberté économique a certes fait polémique, mais c’était aussi le seul bon choix stratégique possible dans la mesure où la concurrence entre les différents systems aurait, à terme, été bien plus néfaste encore.
Je suis par contre un peu inquiet quant au fait que l’évolution aujourd’hui en marche pourrait être trop lente.L’évolution dans le digital va mettre du temps, des générations même, mais ceux qui veulent avancer sont pratiquement prêts et auront les outils pour le faire. D’autres auront plus de mal et je peux le comprendre. Notre rôle en tant que fédération consistera à amener le plus de monde possible à l’arrivée, sans pour autant ralentir le peloton de tête. Nous ne voulons pas être la voiture-balai qui ralentit tout, mais plutôt rester avec le groupe de tête. Le tout dans ce cas est de trouver un bon équilibre.
La lourde charge administrative et juridique qui pèse sur le courtierest aussi toujours plus préoccupante. Elle est devenue tellement chronophage que le courtier n’a plus le temps de s’occuper de son client. Tout ce travail administratif n’apporte en outre aucune valeur ajoutée pour le client qui en a au contraire ras-le-bol d’être tout le temps « scanné ». Avant, tout reposait sur la confiance. Aujourd’hui, il faut sans cesse compléter des documents. Il faut être raisonnable et régler enfin les vrais problèmes. Pensez aux offres conjointes ou à l’absence de statut pour les souscripteurs. Le RGPD et la loi anti-blanchiment n’ont pas vraiment grand-chose à voir avec la Belgique mais touchent malgré tout les courtiers avec toutes sortes de tracasseries. Une inspection de la FSMA peut bloquer un bureau de courtage pendant près d’un mois. Tout ça pour quoi ? Pour arriver à la conclusion qu’en tant que courtier et agent bancaire, il est interdit de mettre une affiche de la banque. Le courtier doit de plus en plus se structurer et tout documenter. Je ne dis pas que c’est mal, mais c’est disproportionné. La loi est la loi, mais ce formalism doit cesser.
La relation avec les compagnies s’est très nettement amélioréeet c’est une autre raison pour laquelle la situation du courtier a beaucoup évolué. Le respect du courtier est aujourd’hui bien plus grand. Pourquoi? Un des éléments de réponse reside tout simplement dans les relations humaines. On a appris à se connaître, à se parler et à travailler ensemble pour définir une stratégie précise. Tout cela peut certes encore vite changer, mais je pense qu’il y a une plus grande confiance, une plus grande détermination et un plus grand soutien de la part des compagnies. Seul le partage des outils ne va pas encore assez loin selon moi. Michel Backer a dit quand il a pris sa retraite : « Au début, on devait gérer le changement. » Maintenant, on gère la vitesse du changement. Aujourd’hui, il parlerait sans doute de la vitesse au carré. Si on met quelque chose en place pour le canal des courtiers en Belgique sur une plateforme commune, que ce soit Brocom ou Portima, et si on a des structures communes qui fonctionnent bien, on arrivera à ce que les courtiers représentent le canal de distribution le plus rentable économiquement. Si on avait dit cela il y a dix ans, personne ne l’aurait cru. Si une compagnie comme AXA développe et maintient un outil pour les courtiers, cela lui coûte 80 %. Si elle doit le développer pour tous ses agents, cela lui coûte 100 %. Donc, soit elle fait une économie considérable, soit elle peut développer beaucoup plus.
On pourrait par exemple développer ensemble un système de contrôle des agréments FSMA. Actuellement, chaque compagnie s’en charge plus ou moins bien. Est-ce qu’on ne pourrait pas mutualiser tout cela ? J’irais même plus loin : pourquoi ne pas interdire automatiquement l’accès à Portima à un courtier qui n’est plus agréé ? On se retrouve parfois aujourd’hui face à la situation un peu absurd où des compagnies qui font moins bien leur boulot continuent pourtant à faire du business.
« Si on met quelque chose en place pour le canal des courtiers en Belgique sur une plateforme commune, on arrivera à ce que les courtiers représentent le canal de distribution le plus rentable économiquement. » Patrick Cauwert, CEO de Feprabel
Les courtiers qui suivent l’évolution et maîtrisent le monde digital n’ont plus peur du multicanauxet trouvent même qu’ils sont freinés par les compagnies. Pour le moment, cela ne concerne qu’un bon 10 % de l’ensemble des courtiers, alors que les autres ont peur que les consommateurs entrent directement en contact avec les assureurs à travers les outils digitaux. Il ne faut pourtant pas avoir peur de ça et au contraire apprivoiser ce nouveau mode de fonctionnement. Et pour ça, il faut des outils communs, développés ensemble. Ça, ce serait le rêve.
« Ne devenez surtout pas comme les banquiers. »Tel est ce qui ressort d’une enquête que nous avons menée auprès de plusieurs consommateurs. Le client doit toujours pouvoir appeler le courtier pour dire qu’il a eu un accident et avoir l’assurance que le courtier va s’occuper de tout pour lui. Récemment, mon application Itsme a été bloquée. Après analyse, il est apparu qu’une limite hebdomadaire avait été fixée pour les paiements. Mais personne ne pouvait m’aider. Cela doit absolument être évité. Il faut garder le contact humain qui peut résoudre les problèmes. Même pour des problems très simples comme l’immatriculation, ce petit contact fait la différence. Notre slogan doit être : digital, mais humain avant tout. Je crois que cela reste payable à condition que le courtier ne doive pas continuer à dépenser de l’énergie, du temps et de l’argent dans des tâches sans valeur ajoutée et que le client ne lui demande pas. Par contre, il faut qu’il soit disponible quand le client le demande. Au début de ma carrière, le courtier ne faisait en fait que relire les conditions particulières pour y déceler les éventuelles lacunes. Ça c’est fini, ça roule, ce n’est plus notre job. Il faut faire autre chose : plus de conseils, plus d’aide aux clients, plus d’aide dans des outils.
Les compagnies ne doivent pas forcément mettre tous les outils à disposition des courtiers.On doit mettre nos moyens en commun pour vraiment travailler ensemble. Si le courtier veut développer une appli sans interactivité avec toutes les compagnies, ça n’a pas de sens et on recrée des doubles emplois.
Développons notre comparateur nous-mêmeset mettons-y plus que les primes, avec aussi tout le service qui va avec. Le consommateur le demande et nous, compagnies et courtiers, sommes les meilleurs pour ça. Malheureusement, Portima y est opposé pour des raisons de sécurité et les assureurs restent absolument réticents à l’idée d’être comparés.
Pour le futur, les courtiers doivent absolument garder l’ancrage humain,avec cette qualité d’écoute, de contact et de disponibilité, mais aussi maîtriser les outils digitaux, y compris l’intelligence artificielle et les conseils automatisés via les chatbots. Cela n’est pas incompatible avec le métier de courtier. Si ING et AXA font du conseil automatisé, nous devons être capables, avec notre savoir-faire, de faire encore mieux car nous avons la possibilité de comparer différentes compagnies et pouvons apporter la touche finale au contact. J’ai une chronique radio d’une demi-heure chaque mois au cours de laquelle les auditeurs me posent des questions comme : pourquoi l’assureur refuse-t-il d’assurer ma voiture ? Expliquer cela en si peu de temps n’est pas simple. Proposer des assurances à travers des conseils automatisés n’est pas evident non plus : soit on est très réducteur, mais avec de mauvaises couvertures, soit on ennuie le client avec trois écrans de questions. Un contact humain sera toujours nécessaire, ne fût-ce que pour completer un document et éventuellement traduire ce que le client dit.
Mais ce contact doit bien sûr être soutenu en coulisses par des outils performants. On est déjà très avancé avec la normalisation de Telebib, mais je voudrais découper ça en métadonnées pour qu’un robot puisse lire tout ça avec précision et comprendre les conditions. Ce serait du win-win et on pourrait aller beaucoup plus vite. C’est un exemple d’outil que l’on doit posséder, maîtriser et utiliser.
L’évolution spectaculaire du canal des courtiers et sa mutation profonde derrière un apparent immobilisme vont se poursuivre et on va améliorer le digital.Plusieurs facteurs influenceront l’évolution des courtiers, comme la fin ou non des offres conjointes, la réduction de la charge administrative ou le développement de nouveaux produits plus ciblés. Mon rêve serait d’avoir un configurateur d’assurances, combiné avec l’intelligence du courtier par rapport à ce qui existe et ce qu’il a envie de faire.
Un catalogue de garanties, d’outils et de services permettant de proposer une solution sur mesure pour le client. Avec par exemple une appli d’Allianz, une assurance d’AG Insurance et une assurance assistance d’AXA. C’est ma vision – peut-être utopique – mais avec mon âge et mon expérience, je sais qu’il est possible d’atteindre beaucoup de choses pour peu que l’on ait une vision positive.